L’Afrique, laboratoire des économies du futur : acte II

Publié le par Thierry Téné

Dans l’optique de l’intervention, à EMA Invest en octobre dernier à Genève dans une conférence intitulée « L’Afrique, laboratoire des économies du futur », nous avons publié un article sur la même thématique dans le premier Hors-série de l’hebdomadaire économique Les Afriques. Il a été très repris et commenté. Nous avons donc décidé de poursuivre la réflexion.

 

Les africains devraient dire merci à la crise financière car l’Afrique est la solution et non le problème

 

La chute de Lehman Brothers et la crise grecque ont eu des avantages conséquents pour l’Afrique. On regrettera que pendant tous les débats sur le continent et au sein de la diaspora sur le cinquantenaire des indépendances, cela n’ait pas été clairement identifié comme un tournant. Ces « séismes » ont joué avantageusement pour l’Afrique sur trois plans principaux. Le premier a été plus psychologique car il y a eu un doute de la part de certains investisseurs sur les risques d’investir en Occident alors que jusqu’ici c’était le propre de l’Afrique et d’autres régions en développement. Il y a probablement des entrepreneurs qui ont modifié leur regard critique sur le continent d’autant que l’Afrique est la seule région du monde qui n’est pas entrée en récession. Le second point est la mise en exergue des atouts du continent et de la solidité de l’économie africaine avec notamment une croissance moyenne de près de 5 % depuis près d’une décennie. Le troisième et dernier point est probablement le plus important. L’Afrique n’est plus le problème mais bien la solution aux problèmes économiques mondiaux.

 

Avec une classe moyenne solvable et l’urbanisation, elle offre d’immenses perspectives de développement et de parts de marchés pour les entreprises. Deux symboles mettent en exergue ce dernier point : En déboursant près de 2,36 milliards de dollars pour le rachat du distributeur sud-africain Massmart qui a réalisé un CA de 6,1 milliards d’euros en 2009, le leader mondial de la grande distribution, le géant américain Walmart fait une entrée fracassante sur le continent. D’autant que Massmart possède 290 magasins et est présent dans 13 pays en Afrique. En annonçant qu’elle ambitionne d’ouvrir 380 agences et de doubler sa clientèle particulière (+1,3 millions de clients), la Société Générale dévoile ses grandes ambitions pour l’Afrique. Pourtant le groupe est déjà bien implanté sur le continent puisque l’Afrique génère un milliard d’euros de produit net bancaire annuel, soit 20 % des revenus du réseau international du groupe, avec 2,8 millions de clients à travers 15 pays et 850 agences.

 

Innovation pour l’Afrique, une histoire de lunettes

 

Jean-Pierre Elong Mbassi, Secrétaire Général du CGLUA (Cités et Gouvernements Locaux Unis d'Afrique), qui a organisé du 8 au 11 mars à Tanger au Maroc le premier forum des femmes élues locales d’Afrique sous le thème «leadership féminin, un enjeu pour le développement africain» a raison d’affirmer « qu’il faut changer de lunettes lors du diagnostic sur l’Afrique ». Au-delà des décideurs à qui les experts africains de haut niveau doivent proposer « les bonnes lunettes » pour mettre en place un cadre législatif favorable à l’émergence de l’économie durable, il revient au secteur privé d’innover pour proposer les produits et services aux populations du bas de la pyramide. A l’heure où la tendance chez opticiens européens est d’offrir automatiquement pour l’achat d’une paire de lunettes une deuxième gratuite qui finie en générale à la poubelle (exemple type d’une économie de gâchis non durable), on pourrait se poser la question suivante : Comment répondre aux besoins de plus d’un milliard de personnes (estimation de l’Organisation Mondiale de la Santé) à bas revenus des pays en développement qui ont besoin des lunettes de correction ?

 

Voilà un sujet de réflexion qui pourrait occuper les étudiants de médecine en Afrique où on trouve un optométriste pour un million d’habitants voir 8 millions dans certains pays (contre 1 pour 4 500 aux Etats-Unis). Et c’est pour y répondre que Joshua Silver, Professeur de physique à l'université d'Oxford des a inventé AdSpecs qui sont des lunettes adaptables à la vue. Elle coûte en moyenne 12 euros. En plus du prix modique, la principale valeur ajoutée est de ne nécessiter ni la présence des spécialistes des soins ophtalmologiques, ni de matériel sophistiqué. Le principe est simple : de l'huile de silicone est injectée ou retirée entre deux feuilles de plastique, jusqu'à ce que la vision soit nette.

 

Voilà l’une des innovations présentées dans le bouquin de Patrick Kohler et Daniel Schneider, Guide des innovations pour lutter contre la pauvreté, 100 inventions géniales au service des pays du Sud paru en septembre aux éditions FAVRE. Et comme dans la vie tout est parfois question d’optique, combien de décideurs, journalistes, experts, opérateurs économiques, étudiants et experts africains l’ont lu ou simplement entendu parlé ? Pourtant du Maroc au Cameroun, en  passant par le Sénégal, le Libéria, le Ghana, le Rwanda… on ne compte plus les pays africains où AdSpecs, pour ne cité que cette initiative présenté dans le livre, a été déployée. En tout cas le Pr Joshua Silver qui a créé en Angleterre la bien nommée « Centre for Vision in the Developing World » ambition dans le cadre de sa stratégie pour 2020 d’aider le monde à voir plus clair.

 

L’Ile Maurice, un modèle pour les Etats-Unis et l’Europe ?

 

Vous connaissez le dicton il faut parfois voir pour croire surtout quand la description de la situation va au-delà de votre imagination. C’est ce qui est arrivé au Professeur d’économie à l’université de Columbia, lauréat du prix Nobel d’économie 2001 et ancien économiste en chef de la Banque Mondiale. Joseph E. Stiglitz. Dans un texte intitulé le miracle économique mauricien qu’il publie sur Project Syndicate, son récit est simplement édifiant et l’auteur invite les Etats-Unis et l’Europe à s’inspirer de l’Ile Maurice. Il faut dire qu’en 1961 son prédécesseur le lauréat du prix Nobel d’économie James Meade avait mis la barre très haut ou plus exactement très bas «Ce sera une grande réussite si [le pays] parvient à donner un emploi productif à sa population sans qu’intervienne une baisse substantielle du niveau de vie actuel…[Les] perspectives d’un développement pacifique sont faibles ».

 

Et que découvre Joseph E. Stiglitz aujourd’hui à l’Ile Maurice : que la croissance du PIB est resté soutenu à 5 % depuis 30 ans et que le revenu moyen par habitant est passé de 400 dollars pendant les indépendances à 6 700 dollars de nos jours. Et surtout ce pays de 1,3 millions d’habitants « fournit gratuitement une éducation, y compris universitaire, le transport scolaire et les soins médicaux – dont la chirurgie cardiaque –  à tous ses citoyens. » Dans sa description Joseph E. Stiglitz oublie de parler de nombreuses initiatives de l’Ile Maurice dans le domaine de la croissance verte. En effet, la flambée des cours du pétrole, qui a atteint un pic de 147 dollars en 2008 le bail, a également marqué un tournant dans la stratégie de développement de l’Ile. Les autorités ont donc décidé le lancement d’un vaste programme intitulé Maurice Ile Durable. Nous avons réalisé en 2009 tout un dossier intitulé « Green business : Maurice préfigure l’Afrique de demain ». Il est consultable sur le site de votre hebdomadaire économique Les Afriques (http://www.lesafriques.com/green-business/green-business-l-ile-maurice-prefigure-l-afrique-de-d.html?Itemid=347?article=18105).  

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