Négociations climatiques : analyse de l’impact de l’accord de Cancun en Afrique

Publié le par Thierry Téné

Négocier oui mais dans quelle configuration ?

Après la déception de Copenhague, la diplomatie internationale était condamnée à l’obtention d’un accord sur le climat à Cancun afin d’éviter une perte de crédibilité. On ne peut donc qu’être satisfait de la convergence des points de vue au niveau mondial sur un sujet majeur même si la Bolivie n’est pas associé à la déclaration finale. Par ailleurs l’immense pression sur les négociateurs et l’obligation de résultat positif tendent à des accords de principe au détriment des débats sur les sujets de fonds. Du sommet de Nagoya sur la biodiversité à celui de Cancun sur le climat, les questions essentielles qui nécessitent des concessions pour chaque partie prenante sont constamment reportées ou tout simplement exclues de l’ordre du jour. Le contraire est-il possible ? Quand on réunit, en quelques jours, près de 200 pays au Mexique sous l’égide des Nations Unies pour plancher sur le climat qui est une problématique transversale avec des répercussions géopolitiques, stratégiques et économiques, peut-on objectivement espérer des résultats probants ?

 

Depuis quelques années la question cruciale de l’avenir du Protocole de Kyoto dont l’échéance est fixée en 2012 est toujours repoussée au prochain cycle de négociation. Suite à l’échec de Copenhague, certains pays à l’instar de la France ont suggéré une révision du format onusien qui exige une unanimité de l’ensemble des pays et la réduction du nombre de pays habilités à valider un éventuel accord. Paradoxalement, tel est le schéma utilisé dans la capitale danoise où le Président OBAMA a réuni les principaux pays émergents pour la validation d’un document qui a été approuvé par les autres pays. Cette configuration améliorée sera probablement l’avenir des négociations climatiques. Au lieu de quelques pays triés sur le volet comme au Danemark, il serait judicieux que les discussions se déroulent par pallier. Par exemple, les pays des différentes sous-régions se mettraient d’accord sur des exigences communes validées au niveau continental. Chaque continent enverrait quelques négociateurs défendre leurs recommandations lors des négociations internationales sur le climat.

 

L’accord de Cancun et l’Afrique

Pour le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon, l’accord de Cancun est un "succès important". Avant de préciser que "Les gouvernements se sont rapprochés pour la cause commune, pour le bien commun, et se sont mis d'accord sur la façon de progresser pour répondre au défi de notre époque. Les résultats de Cancun nous ont donné d'importants outils. Maintenant, nous devons les utiliser, et redoubler d'efforts en conformité avec les impératifs scientifiques". Parmi les outils évoqués, certains présentent un fort intérêt pour l’Afrique.

 

Le premier est la création du Fonds Vert Climat doté d’un budget de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Le but de ce fonds est de soutenir des projets, programmes, politiques des pays en développement. Reste maintenant à trouver les sources de financement d’autant qu’il s’agit des promesses des pays développés. Or la plupart font face à une rigueur budgétaire. Ils sont contraints de réaliser des économies. On voit donc mal ces pays dégagés une telle manne financière pour les pays du Sud sans affronter la colère de leurs contribuables. D’un point de vue organisationnel, la Banque Mondiale sera l’administrateur intérimaire du Fonds pendant trois ans. Son Conseil d’Administration sera constitué de 24 membres repartis équitablement entre les pays développés et en développement dont les petits Etats insulaires qui sont les plus exposés au changement climatique. Les pays africains gagneraient à élaborer des portes-feuilles projets dans les domaines de l’économie décarbonée, qui seront soumis à ce fonds pour financement. La finance carbone présente aujourd’hui une pléthore de ressources financières mobilisables par l’Afrique pour les projets dans le domaine des énergies renouvelables, de la gestion durable et de la valorisation des déchets, du transport doux (ferroviaire, fluvial, etc.), des agrocarburants, de l’amélioration des process industriels, la gestion durable des forêts et de l’efficacité énergétique. Malheureusement, ils sont largement sous-utilisés par le continent alors qu’il s’en crée presque tous les semestres.   

 

Le deuxième point est le transfert de technologie grâce notamment à la création d’un Centre de Technologie pour le Climat : ensemble d’experts chargés de faire des propositions et d’un réseau qui sera au plus près des projets sur le terrain pour développer le savoir-faire sur les nouvelles technologies vertes dans les pays du Sud afin de réduire les émissions de GES et s’adapter aux impacts inévitables du changement climatique. Même si la proposition est salutaire, la mise en place sera un peu compliquée. En effet, combien d’entreprises sont réellement disposées à fournir le fruit de travail de plusieurs années de recherche et développement aux pays du Sud d’autant que ces technologies sont généralement brevetées. De même, les états ont très peu d’influence sur les brevets déposés par les entreprises privées. On voit mal les présidents OBAMA ou SARKOZY ordonner à leurs entreprises de fournir des technologies dans le domaine du solaire par exemple à l’Afrique. Pour assurer un transfert efficace des cleantechs, le continent gagnerait à analyser de près le modèle chinois qui impose lors d’importants contrats des clauses obligatoires de transfert de savoir-faire et formation des cadres chinois. Ainsi l’achat par exemple de panneaux photovoltaïques devrait être conditionné à des clauses de création sur place d’usine d’assemblage et de formation d’ingénieurs africains.

 

Le troisième point important pour l’Afrique est la Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts (REDD). On entend par REDD, l’utilisation des incitations offertes par le marché pour réduire l’empreinte carbone en permettant aux pays développés de compenser leurs propres émissions par les investissements dans les projets REDD dans les pays en voie de développement. Aujourd’hui le terme REDD Plus est plus utilisé. Il s’agit des efforts mis en place pour prendre en compte dans ces crédits carbone la conservation, la gestion durable des forêts et l’amélioration des stocks de carbone des forêts. L’accord de Cancun pose l’objectif de ralentir, arrêter et inverser la perte du couvert forestier, à l’origine d’environ 15% à 20% des émissions globales de Gaz à Effet de Serre. Il prévoit la participation des parties impliquées dans la gestion de la forêt, dont les populations autochtones, mais les mécanismes de contrôle sont plutôt faibles. La possibilité d’utiliser le marché du carbone pour financer ce coûteux mécanisme n’apparaît pas dans le texte. Or selon la FAO, REDD+ pourrait engendrer des investissements estimés entre 30 et 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement. Malgré le flou juridique au niveau international, cette manne financière est au cœur de toutes les convoitises. Entreprises et investisseurs se positionnent de plus en plus sur ce marché émergent et très rentable de la finance carbone en lien avec la lutte contre la déforestation.

 

L’Afrique doit urgemment préparer Durban

Toujours repoussé l’avenir du Protocole de Kyoto se jouera probablement lors de la Conférence des Parties N° 17 qui aura lieu du 28 novembre au 9 décembre 2011 à Durban en Afrique du Sud. Vu les enjeux et les questions en suspend, l’Afrique devra mieux se préparer et être outillés pour peser sur les négociations. Dès le début de l’année prochaine, nous devons donc mener une campagne de lobbying intensive pour exposer notre vision. Jamais expérimenté jusqu’à présent, il est vivement souhaité que la voix africaine se fasse entendre dans le cadre d’un partenariat public-privé. En effet, le secteur privé africain est jusqu’ici resté très discret lors des négociations climatiques. Pourtant du transfert de technologie au business du carbone en passant par les pertes économiques liées aux conséquences climatiques, les entreprises africaines devraient être en première ligne. Ne commettons plus la même erreur comme lors des réunions de validation des modalités d’exécutions des projets de Mécanisme de Développement Propre (MDP) où nous avons été absents avant de se rendre compte quelques années plus tard que le MDP, dans son architecture actuelle n’était pas très adapté au contexte africain.

 

NB: article publié dans le site web de l'hebdo économique Les Afriques

 

http://www.lesafriques.com/actualite/negociations-climatiques-analyse-de-l-impact-de-l-accord-de-cancun-en-af.html?Itemid=89?articleid=27123

 

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