Côte d'Ivoire : Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) en Afrique : SIFCA montre la voie aux multinationales

Publié le par Thierry Téné

Interview du Dr Franck EBA Directeur Développement Durable du Groupe SIFCA

Il a pris le poste de responsable développement durable en octobre 2007. Franck EBA coordonne la démarche dans tout le groupe SIFCA qui possède 24 000 salariés et a réalisé un CA de près de 454 millions euros (295 milliards de FCFA) en 2009. SIFCA a six filiales en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria et au Libéria. Franck EBA est aidé par six coordinateurs développement durable qui sont les relais sur le terrain. Il s’agit de responsables des ressources humaines, Qualité, Sécurité, Hygiène et Environnement, des secrétaires généraux ou des médecins du travail. En trois ans, les initiatives mises en place par le groupe SIFCA mériteraient d’être suivies par d’autres sociétés transnationales présentes en Afrique. Entretien.

 

Les Afriques : Pourquoi SIFCA s’engage dans la RSE ?

 

Franck EBA : C’est une obligation car le Groupe est coté via la Société Internationale de Plantation d’Hévéa : SIPH à Euronext (NDLR : toutes les entreprises cotées à la bourse de Paris sont soumises à la Loi NRE « Nouvelles Régulations Economiques » qui obligent de publier en plus du rapport financier, l’impact social et environnemental de leurs activités). C’est également la volonté de notre Directeur Général Monsieur Lambelin qui estime que le développement durable est une priorité.

 

LA : Quand a été initiée cette démarche et quels sont justement les priorités du Groupe ?

 

FE : La démarche RSE et développement durable débute en 2007 avec une attention particulière pour l’Hygiène et la Sécurité qui sont les priorités du groupe.

En 2008, cinq (5) engagements principaux sont définis :

Diffusion de la politique Hygiène et Sécurité,

Sécurisation des travailleurs (équipements personnels individualisés, équipements collectifs de protection pour sécuriser l’outil, etc.),

Logement : le groupe loge ses salariés car ils sont loin des villes. SIFCA construit donc les logements sur chaque site. Ils sont équipés gratuitement en eau et électricité. Un vaste programme de réhabilitation des maisons au standard du groupe est aussi lancé (maison de 2 pièces avec cour et cuisine intérieures),

Lutte contre le VIH SIDA et le paludisme qui sont les maladies les plus meurtrières en Afrique. Le paludisme est la première cause des absences chez SIFCA,

Préservation de l’environnement et lutte contre la pollution.

 

LA : Face à la forte pression des ONG environnementales et des communautés locales, vous êtes obligés de revoir aussi bien la stratégie que vos priorités…

 

FE : Exactement. Après le bilan de ces engagements principaux en fin 2008, le groupe constate qu’il y a une forte pression des ONG sur l’environnement et des communautés locales sur le foncier. SIFCA a un contrat de location des terres avec l’Etat pour 99 ans. Mais l’Etat n’a pas pris en compte les besoins des populations locales d’où l’entreprise reverse à titre volontaire les redevances coutumières. On remet les montants au Préfet qui les redistribue aux communautés. SIPH a ainsi dépensé près de 100 millions de Fcfa. Par ailleurs, on avait aussi les plantations en fin de vie pour l’hévéa qu’il fallait détruire. Mais sur un ou deux sites les populations se sont braquées par rapport au contrat. Je tiens à rappeler que ces redevances volontaires n’ont aucun lien avec les projets de développement des communautés locales menées par le groupe. Suite à cette forte pression des communautés locales, dans les engagements RSE et développement durable, il fallait inclure un sixième engagement pour les communautés locales en favorisant l’accès à l’éducation, à la santé et à l’augmentation des revenus pérennes. Suite aux pressions des ONG, il fallait également renforcer l’engagement dans le domaine de l’environnement grâce à l’audit environnement lors de nouveaux projets et dans le cadre des activités quotidiennes. D’un point de vue symbolique, nous avons installé quelques panneaux photovoltaïques sur les ponts bascules afin que les ordinateurs soient alimentés à partir de l’énergie solaire.

 

 

LA : Justement dans le domaine de l’environnement, le lobbying de certains ONG internationales ont poussé des grands groupes agro-alimentaires occidentaux à renoncer à l’importation d’huile de palme en Asie. Qu’en est-il en Afrique ?

 

FE : Les palmiers à huile ont un impact considérable sur l’environnement d’où la forte pression des ONG. Le modèle malaisien n’est pas transposable en Afrique car la terre appartient aux communautés locales. 2/3 de la production d’huile de palme de SIFCA provient des populations d’où l’obligation de l’ancrage territorial avec le soutien des populations locales. Si elles arrêtent le travail, on ne peut plus produire. En cas de problème, les communautés se retournent vers l’entreprise. En Afrique, les entreprises traitent avec les chefs de terre alors qu’en Asie c’est directement avec l’Etat.

 

LA : La meilleure manière de concrétiser ces engagements environnementaux et sociétaux est l’obtention des certifications ISO. Quel est le bilan de vos démarches ?

 

FE : RENL (filiale du Nigeria) a obtenu la mise à jour de la certification ISO 14001 (sur l’environnement, ndlr) en 2010. Ailleurs on a des projets de certification en cours. SANIA (raffinerie) était certifié ISO 9001 (sur la qualité, ndlr). En installant la nouvelle usine qui est plus grande et plus performante, il faut reprendre la dite certification. Dans les autres filiales les démarches de certification sont en cours : SAPH (ISO 9001 d’ici 2012), RENL (ISO 9001 début en 2011), PALMECI qui est l’entreprise de production de l’huile brute, implémentation d’une Stratégie de Management Environnemental avec un objectif de certification en 2013. Après cette certification ISO 14001, on vise la RSPO (Round Table for Sustainable Palm Oil) d’ici 2015 pour PALMCI. En Europe, il y a obligation d’avoir la certification RSPO, qui intègre tous les piliers de la RSE, pour avoir accès au marché.

 

LA : Le Mécanisme de Développement Propre (MDP) et la finance carbone sont également au cœur de votre stratégie RSE. Quels sont vos projets ?

 

FE : Dans la filiale SANIA, nous avons un projet MDP dont l’enregistrement sera effectif ce mois et on obtiendra ensuite les crédits carbones. C’est l’installation d’une chaudière à biomasse qui nous ouvre les portes de la finance carbone. Elle permettra d’éviter les émissions de 42 000 tonnes de crédits carbones par an. SIFCA va dont bénéficier de 420 000 euros par an et pendant 21 ans. Nous avons signé un accord avec Tricorona pour l’achat des crédits pendant 7 ans. A l’issue de cette période, on rediscutera les termes du contrat avec la même entreprise ou d’autres acheteurs. Le MDP permet un bon retour sur investissement. L’intégration de la finance carbone dans notre stratégie RSE est très importante.

 

LA : L’éco-construction des logements des salariés avec des matériaux écologiques est bon pour l’environnement et le cadre de vie du personnel mais est-ce rentable pour le groupe SIFCA ?

 

FE : Nous sommes en effet entrain d’expérimenter la construction des logements avec les briques de terre comprimé qui ont de très bonnes propriétés thermiques et coûtent moins chères. Elles s’imbriquent et n’ont pas besoin de ciment. Le prestataire a un contrat pour expérimenter 56 logements soit 20 maisons de 3 pièces et le reste aura 2 pièces. A terme, SIFCA va construire 700 logements sur 5 ans. Ce sont des logements écologiques. Nous mettons en place la récupération des eaux de pluie pour la vaisselle et utilisons le toit en fibrociment (sans amiante) qui a les meilleures propriétés d’isolation que les tôles classiques. Avec le ciment et les modes de construction classique, les maisons reviennent à 8 ou 9 millions de Fcfa alors que les constructions écologiques ont un coût de revient de 6,4 millions de Fcfa. Nous allons ainsi construire plus de maisons durables. Lors des constructions, on y intègre également les WC secs.

 

LA : A partir des toilettes sèches, vous produisez de l’engrais biologiques : quel est le process ?

 

FE : Le groupe SIFCA a déjà construit 620 WC secs dont la majorité sont sur les sites de la SAPH. Leur fonctionnement est simple : séparation des urines et excrétas. Après séchage, ces derniers sont utilisés comme engrais biologiques. Il faut 6 mois de séchage avant utilisation des excrétas.  Les engrais bio sont utilisés pour les pépinières d’hévéa mais pas dans les plantations. Je tiens également à préciser que le tri des déchets a aussi été mis en place dans les logements. Il y a la valorisation des déchets en engrais biologiques.

 

LA : Vous avez travaillé chez NETAFIM qui est le groupe israélien impliqué dans plusieurs projets d’irrigation par goutte à goutte en Afrique. Vous parlez d’ailleurs de fertigation. De quoi s’agit-il ?

 

FE : Fertigation est l’association des engrais solubles dans les tuyaux d’irrigation. On réduit la consommation d’énergie car le goutte à goutte utilise une pression plus faible que les asperseurs classiques. Grâce à la fertigation, on économise dont l’eau et les engrais. Chez SIFCA, le goutte à goutte est très utilisé dans les pépinières d’hévéa mais pas dans les plantations. On veut l’étendre aux palmiers à huile.

 

LA : D’après votre retour d’expérience, quelles sont les spécificités de la RSE en Afrique ?

 

FE : Nous devons définir une RSE à l’africaine. Par exemple le SIDA est une priorité en Afrique. Il faut encourager les dépistages volontaires. La RSE doit s’adapter à la culture du pays. Pour la lutte contre le paludisme, on distribue les moustiquaires imprégnées mais dans la culture de certaines communautés, les moustiquaires imprégnées sont associées à la mort. Ce qui complique le déploiement du produit. Après 3 ans d’expériences et de pratique de la RSE, nous pensons qu’il faut bâtir la RSE sur les enjeux propres et les réalités africaines.  

 

LA : Pour un grand groupe comme SIFCA, quelles sont les limites de la RSE en Afrique ?

 

FE : On intervient dans les localités où l’Etat est absent mais on ne peut se substituer à l’Etat. Les communautés locales souhaitent qu’on entretienne les routes. Nous construisons beaucoup de routes même si c’est pour nos besoins. L’Etat doit être le moteur, l’arbitre de la RSE mais trop peu d’Etats sont présents. Les communautés nous demandent de construire les maisons des Préfets. Ce qui n’était notre mission mais nous le faisons. En plus de cette construction, nous installons parfois les panneaux solaires sur le bâtiment car il n’y a pas d’énergie.  Sur le volet santé, nous avons des hôpitaux et des maternités sur le site qui sont ouverts aux populations locales. Près de la moitié voire les ¾ des naissances dans nos hôpitaux viennent des communautés locales (plus important que les femmes des salariés). Nous les prêtons également les ambulances. 

 

Propos recueillis par Thierry Téné

 

NB : Article paru dans l’hebdomadaire économique Les Afriques N°152.  

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